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Jardin de l'hôtel Joyeuse à Amboise, par Louis DECORGES

L'hôtel Joyeuse est situé au 6 rue Joyeuse à Amboise et est inscrit aux Monuments Historiques depuis le 29 octobre 1941. Selon la notice (référence PA00097512) des Monuments Historiques©, "l'origine du nom de cet édifice et l'histoire de sa construction ne sont pas connues. Cet hôtel particulier du XVIe siècle a été, après un incendie, presque totalement restauré au XIXe siècle, sans doute par Ruprich-Robert. La façade Renaissance vers la rue conserve une corniche à frise avec des rosaces, cordelières, et coquilles typiques, ainsi qu'un décor torsadé d'origine. Le bâtiment annexe qui surmonte l'entrée, présente, au rez-de-chaussée, une grande et une petite porte en plein cintre, et au premier étage, une galerie de bois vitrée. À l'intérieur, plafonds peints."

Capture d'écran du portail IGN© / Emplacement de l'hôtel Joyeuse à Amboise

Concernant l'origine de cet hôtel particulier, le Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, daté de 1897, nous indique, page 118 : "Au sujet d'Amboise, de la rue Joyeuse et du bel hôtel édifié en cette rue, sans doute vers la fin du XVe siècle ou au début du XVIe, M. l'abbé Bosseboeuf se demande quel en a été l'architecte ou le possesseur; est-ce bien le duc de Joyeuse ? Voici une hypothèse qu'émet notre savant président : On sait que Charles VIII ramena en France une foule d'artistes italiens et parmi eux Fra Giovanni Giocondo, habile architecte, auteur de travaux importants à Venise, à Vérone, et collaborateur de Michel-Ange pour la construction de Saint-Pierre de Rome. Giocondo séjourna à Amboise et recevait du roi une pension de 12.000 livres. De même que Pacello a résidé à Château-Gaillard et Léonard de Vinci à Clos-Lucé, ne pourrait-on admettre qu'il a résidé en cet hôtel de la rue Joyeuse; car Joyeuse est la traduction de Giocondo, et voilà peut-être l'origine du nom donné à cette habitation et à la rue."

Mais c'est le patrimoine végétal qui m'intéresse et grâce au numéro 180 de la revue La vie à la campagne daté du 15 mars 1914, j'ai retrouvé la description du jardin de l'hôtel Joyeuse, dessiné par le paysagiste Louis DECORGES (1872-1940).

Voici les principaux extraits de cet article (toutes les images ci-dessous proviennent de cette revue / BNF©) :

"Composition d'esprit Renaissance - Comment la compartimentation d'un Jardin de goût italien a été retrouvée, dessinée à nouveau et sa décoration interprétée devant un logis du 16e siècle. (Hôtel de Joyeuse, à M. Charpentier, à Amboise. M. Decorges, arch.).

En pleine ville d'Amboise, non loin et très en contrebas du célèbre Château historique, un charmant Logis de la Renaissance, connu sous le nom d'Hôtel de Joyeuse, dresse ses façades front Nord-Est, qui sont un enchantement, en bordure de la rue du même nom. Ce Logis est l'ancienne demeure d'un des maîtres d'oeuvres italiens, Fra Giovani Giocondo, que Charles VIII ramena d'Italie, et qu'il pensionna. Ce Giocondo avait pour mission d'édifier ou de mettre au goût du jour quelques-uns des beaux Châteaux de Touraine, dont celui d'Amboise. Il amenait avec lui, comme artiste des jardins, le fameux Pacello da Mercogliano, auquel on doit le dessin et l'aménagement de plusieurs Jardins de cette époque, notamment les Parterres de Diane du Château de Chenonceau.

En prévision de son long séjour en France, Giocondo fit édifier le charmant Logis dont nous allons visiter le jardin. Il est à présumer que Pacello sans doute travailla à l'exécution de ce Jardin, puisque tout donne à penser que, pour beaucoup d'autres beaux Jardins de cette époque, il collabora avec Giocondo. Nous dirons une autre fois l'histoire de ce Logis, car elle a un rapport direct avec son architecture et celle du Jardin. Tout cet ensemble mérite une description plus complète que celle qu'il m'est possible de faire aujourd'hui.

L'entrée de l'hôtel Joyeuse s'ouvre latéralement sur le côté gauche du corps principal de logis et donne accès dans une assez vaste avant-cour entourée de bâtiments qui sont et ont été précédemment les dépendances de l'Hôtel, et qu'une galerie située au-dessus du porche relie avec le premier étage.

Un emmarchement situé à droite fait communiquer l'avant-corps avec une terrasse qui était sans doute une sorte de Cour d'honneur. Sur ce terre-plein s'ouvre la porte d'entrée du Logis, dans la façade qui regarde le Jardin, façade principale front Sud-Ouest. Ce terre-plein forme en outre une terrasse dominant le Jardin, constituant ainsi une première plate-forme entourée d'une balustrade, bordée elle-même d'une plate-bande, devant laquelle s'alignent de beaux végétaux en caisse. Dans cette balustrade s'ouvre l'escalier, situé dans l'axe de l'allée principale de la seconde plate-forme.

Il est à présumer que le Jardin d'aujourd'hui reste inscrit dans le périmètre de celui d'autrefois. Sa forme générale est celle d'un trapèze, avec un mouvement de biais très prononcé à l'extrémité. La pente normale du terrain, dans le sens de la longueur, du Nord-Est au Sud-Ouest, permit autrefois d'être stylisée par un échelonnement de terrasses dans le goût italien. Elles sont fournies par : le terre-plein, un grand rectangle en contre-bas - qui est le véritable centre d'attraction - et une troisième plate-forme, celle d'extrémité.

L'ensemble du Jardin est encadré latéralement par de hautes parois : celle de droite par le mur formant clôture avec la propriété voisine; celle de gauche par un autre mur avec comme fond - au-delà du cours d'une petite rivière qui coule en biais, de l'Est à l'Ouest, en bordure de la propriété - avec comme fond un rideau de hauts fuseaux de Peupliers d'Italie. Ces murs, surtout celui de droite, se drapent de l'abondant feuillage de plantes grimpantes variées sur le revêtement plat de Vigne Vierge de Veitch, formant ainsi au Jardin de vertes et souples cloisons qu'émaillent, par moments, des fleurs abondantes.

Cette propriété, bien que de dimensions restreintes, était donc disposée à souhait pour que Giocondo y aménageât un Jardin évoquant ceux de son pays, dont il avait sans doute la nostalgie, à ce point qu'il y introduisit le premier Oranger dont les fleurs au parfum captivant lui rappelaient les senteurs et les fruits, le ciel bleu et l'éclat vermeil du soleil d'Italie.

Lorsque M. Charpentier devint propriétaire de ce Logis, le Jardin était depuis très longtemps à l'abandon; sa végétation arborescente et sauvage d'arbustes fruitiers, de plantes vivaces de toutes sortes, donnait l'apparence d'une nature absolument libre. Le mur de soutènement du terre-plein était à demi ruiné; une seule marche en marquait la différence de niveau. Le kiosque était couvert de Lierre centenaire. Au lieu des trois plates-formes, une seule pente, - à peine brisée par le ressaut des deux contre-murs, - une seule pente allait du terre-plein au fond du Jardin.

L'étude que M. Charpentier avait faite du Logis lui laissait deviner le Jardin intéressant. Aussi, lorsqu'il en entreprit la restauration en 1900, il chercha à retrouver les anciens niveaux. Il découvrit alors le sol dur et constata que les apports successifs d'engrais et de terre avaient constitué un remblai de 70 centimètres. Ces couches superposées par les assises une fois enlevées, il retrouva l'emplacement de quatre carrés, un bassin, le sable des allées et même les débris, certainement du 16e siècle, d'ardoises pilées, de tuiles et de briques concassées, - débris des matières qui coloraient le fond des dessins d'autrefois.

Se basant alors sur ce que les Jardinistes du 16e siècle ne comprenaient le Jardin que par compartiments, il s'arrêta à la disposition actuelle, sauf à essayer successivement, pendant onze années, la composition rectiligne de chaque compartiment, qui, chaque année, prenait une tournure meilleure. Quatre Chamaerops plantés en 1900, à raison d'un sujet par compartiment, servirent depuis lors de base aux ébauches d'ornement. En raison de leur développement, il jugea bon de conserver ces Chamaerops en place lors de la reconstitution définitive, ce qui en atténue le caractère.

Sa trouvaille, les essais auxquels il avait procédé, avait donné à M. Charpentier l'idée d'une plus complète restauration des dispositions qu'avait agencées Giocondo et sans doute Pacello. Il fit pour cela appel à M. Decorges, qu'il chargea d'étudier et de réaliser les aménagements auxquels il s'intéressa d'une façon directe.

Les lignes retrouvées, l'emplacement de la vasque nettement marqué, devaient être les traits essentiels de ce pivot du Jardin actuel. À défaut d'autre document précis, il pouvait être hasardeux, en effet, de vouloir prétendre à une reconstitution archéologique. D'ailleurs, M. Charpentier, amateur de toutes ces fleurs et de ces feuillages brillants qui sont les éléments prestigieux de nos Parterres contemporains, désirait que ceux-ci jouent un rôle brillant dans la décoration de son Jardin. La mise en valeur de ces plantes, remplaçant les herbes et les matières colorées du Jardin Renaissance, excluait également toute idée de restitution intégrale. Il s'agissait donc de procéder à une adaptation par une interprétation aussi complète que possible, avec les matériaux modernes, du Jardin d'époque.

Au lieu que chaque intérieur de compartiment forme un tapis uni de gazon dans l'esprit des boulingrins des 17e et 18e siècles, il est composé d'un dessin très régulier sur fond de sable blanc et rouge, et chacun des détails du dessin est cerné par un rang de Fusains nains verts et panachés, taillés à la façon du Buis.

Comme il eut été difficile de maintenir la couleur du sable rouge et du sable blanc, et surtout d'empêcher leur mélange sur des parties aussi étroites, ces matières sont incorporées dans un béton. La netteté des lignes de Fusain est elle-même assurée par une mince bordure de tuiles qui dépassent à peine le sol. Si le socle, formant encadrement de chaque compartiment présente un caractère de continuité, les plates-bandes sont divisées par section, et c'est ainsi qu'aux trois angles est une disposition circulaire formant corbeille. Le parti adopté est souligné par les arbustes taillés : Houx pyramidal, Fusain en boule sur tige basse, Rosier-tige, etc.

On recherche, au point de vue décoratif, des contrastes très vifs de couleurs, d'abord par les plantes et les matériaux en permanence, sable doré des allées, sable blanc et rouge des compartiments, briques-bordures et liseré de tuiles rouges, ourlet vert brillant des Sédums, mais surtout par les fleurs et les feuillages des plantes saisonnières, tels, pour l'été, les Bégonias multiflores, Gnaphalium laineux, Alternanthéras, Irésine, etc.

Le Jardin ainsi compris sur la seconde plate-forme est de beaucoup le plus marquant de l'ensemble. Il ne comporte, toutefois, comme motif décoratif, que la vasque centrale avec son jet d'eau, et le pavillon d'extrémité; par contre, un charmant ouvrage a été exécuté sur tout le côté gauche : une galerie en charmilles taillées, d'esprit nettement Renaissance, dont l'architecture fut inspirée par une estampe du 16e et dont la réalisation ingénieuse et soignée est due à M. Charpentier. Ce ravissant promenoir a comme aboutissement de fond un cabinet de verdure situé sur la troisième plate-forme, par conséquent en contre-bas. Dans ce cabinet trône la statue d'Agnès Sorel.

Tandis que le Jardin de fleurs est complètement découvert, il semble que l'on ait voulu faire un Jardin couvert ou tout au moins ombragé de la troisième plate-forme, traitée un peu dans l'esprit des Bosquets fleuris du 17e. C'était d'ailleurs l'organisation qui permettait le mieux de masquer l'effet de décentrement sur la gauche de l'extrémité du jardin.

Monsieur Decorges a résolu la difficulté que présentait le biais d'extrémité de la façon la plus heureuse : d'abord par son aménagement qui apparaît comme parfaitement équilibré; puis en opposant une partie couverte et ombragée au Jardin découvert et ensoleillé. Il a donc mis celui-ci en valeur tout en assurant de charmants retraits pour le repos et les causeries de plein air.

Ainsi donc, tel qu'il a été compris, le Jardin actuel n'est ni une intégrale restitution ni une fidèle reconstitution des dispositions d'autrefois, mais plutôt une intelligente et vivante interprétation par la conservation des lignes essentielles, soulignées par l'agencement de sa tonnelle d'esprit Renaissance, la vasque dans laquelle l'eau bruit et se miroite, et le pavillon en charpenterie.

Ces modifications de détail, cette recherche du dessin - que, dans tout autre cadre, on pourrait considérer comme un peu compliquée - sont une adaptation logique qui permet l'emploi des plantes que la Renaissance ne connaissait pas, et qu'un propriétaire désire mettre en valeur. Ainsi, ce Jardin, devant ce beau Logis Renaissance, est d'un effet prestigieux sous la ruisselante lumière de l'été."