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Jardin du château de Beauvais, à Azay-sur-Cher, en juillet 1899

Les bulletins des sociétés savantes du XIXe siècle sont une mine d'informations pour qui s'intéresse à l'histoire et au patrimoine. En ce qui me concerne, c'est le patrimoine horticole ornemental qui a ma faveur, aspect du patrimoine plutôt méconnu voire même parfois dédaigné alors que des générations d'obtenteurs, de producteurs et de multiplicateurs ont contribué à la gloire de l'horticulture française au XIXe siècle, jusqu'au début du XXe siècle et ont fleuri nos jardins d'espèces botaniques et variétés horticoles prodigieuses, reproduites dans les revues horticoles de l'époque.

Le château de Beauvais, aujourd'hui maison d'hôtes, se trouve dans la commune d'Azay-sur-Cher, en Indre-et-Loire (37). L'histoire de cette belle demeure, écrite par André Montoux et publiée en 1994 dans le bulletin de la Société Archéologique de Touraine (Tome XLIV, année 1994) nous donne de précieux renseignements sur son architecture et sur les propriétaires successifs.

La consultation du cadastre napoléonien de 1826 (Archives départementales d'Indre-et-Loire) nous renseigne sur les parcelles qui composaient alors le château de Beauvais.

Section C2 de Beauvais - 6NUM10/015/008 - ADIL©
Section C2 de Beauvais - 6NUM10/015/008 - ADIL©

L'état des sections nous indique la nature des parcelles au lieu-dit Beauvais :

  • 826 : terre
  • 827 : jardin
  • 828 : maison d'habitation
  • 829 : pâture d'agrément
  • 830, 831 : terres
  • 832, 833, 834 : pâtures
  • 835, 836 : terres
  • 837 : taillis
  • 838 : pâture d'agrément transformée en terre (on voit sur le plan que c'est une allée rectiligne bordée d'arbres)
  • 839 : vigne
  • 840, 841 : terres
  • 842 : pâture
  • 843 et 843 bis : vignes
  • 844 : maison d'habitation et cour
  • 845 : maison d'habitation et cour
  • 846 : château, bâtiments et cour
  • 847 : jardin d'agrément
  • 848 : jardin
  • 849 : terre
  • 850 : terrain d'agrément transformé en terre
  • 851 : terre
  • 852 : vivier (en vert sur le plan; on voit qu'il est connecté au Cher)
  • 853, 854 : terres
  • 855, 856 : jardins (on voit le dessin régulier sur le plan)

Le morcellement de Beauvais

L'immense domaine de 47 hectares de terre est démembré en 42 lots, adjugés pour 98 000 francs et vendus le 21 août 1853 "au détail à divers acquéreurs". Le 3ème lot, formé du château et de 63 hectares de bois taillis notamment à la Vallée Noire à Azay et Athée est acquis par Émile Gary, négociant à Paris.

L'architecture, alors considérée comme "très sobre" du château n'est sans doute pas au goût d'Émile Gary, qui décide de l'embellir dans le style de l'époque.

L'environnement n'est pas épargné par les travaux car un grand plan porte l'indication : "Terre de Beauvais (I.-et-L.) appartenant à Monsieur E. Gary : projet de modifications à apporter au parc, septembre 1869, dressé par Édouard André, architecte de jardins, 18, avenue Bugeaud, Paris". Le célèbre paysagiste, décédé à La Croix-en-Touraine, dessine "de multiples allées formant de grandes ellipses" formant ainsi un véritable parc à l'anglaise. Cela fera l'objet d'une prochaine recherche.

Après le décès d'Émile Gary, sa veuve Sophie Émilie Aubanel rédige son testament et n'ayant pas eu d'enfant, elle institue comme son légataire universel son neveu, Alfred Antoine Émile Béranger, propriétaire à Paris. À la mort de sa tante, le 17 août 1890 (Vanves), Alfred Béranger hérite du château de Beauvais. Il décide alors de le rénover et surtout d'agrandir l'aile ouest. Possédant "des carrières de porphyre à Saint-Raphaël qui pouvaient fournir le matériau nécessaire", il fait appel à l'architecte Marcel Rohard (1872-1936), que son oncle Charles Guérin (1847-1919) avait initié dès l'âge de dix ans à son métier. On lui communique des reproductions des châteaux de la Roche Lambert en Haute-Loire et de Bonnétable dans la Sarthe, sans doute pour servir de modèle.

Ce qui est ici amusant, pour moi, comme un clin d'oeil de la vie, c'est que j'ai déjà parlé de la grande famille d'architectes Guérin-Rohard alors que j'effectuais des recherches sur l'école Saint-François, de Vouvray; école qui avait été dessinée par François-Xavier Rohard (1903-1932) et inaugurée en 1932. La publication de cet article m'avait permis d'entrer en relation avec le descendant, Dominique Rohard, qui m'avait très aimablement offert son ouvrage De Paris à Nice - Récit d'une généalogie artistique - Deux familles d'architectes de 1815 à 2015, publié par Le Geste d'Or en 2016. Qu'il en soit à nouveau remercié aujourd'hui. Marcel Rohard perd son père à l'âge de dix ans et c'est son oncle, Charles Guérin, qui le prend en charge. Candidat à l'école navale puis à l'école des Ponts et Chaussées, il opte finalement pour l'architecture. Fidèle à l'esprit de son grand-père, Gustave Guérin, il ne passe pas par l'Ecole nationale des Beaux-Arts mais se forme sur le tas en accompagnant son oncle Charles Guérin, dont il suit les avis. Son adhésion aux techniques naissantes utilisant le béton armé est mitigée. Il participe à l'édification de l'église du Christ-Roi, à Saint-Symphorien (Tours nord), comme architecte d'exécution.

La description des jardins du château de Beauvais en 1899

Nous entrons dans le vif du sujet. Le 30 juillet 1899, une délégation de la Société Tourangelle d'Horticulture, composée de M. Delage (vice-président), M. Pinguet-Guindon (secrétaire général), M. Queneau (secrétaire), M. Bouchaud (trésorier), M. Buret (bibliothécaire), MM. Leguy, Dupont, Grivaux et Dallière membres des commissions "Cultures maraîchères" et "Cultures florales" est appelée à visiter la propriété du château de Beauvais. Voici la description de cette visite, en bleu et entre guillemets, consignée dans le bulletin de juillet 1899, par le rapporteur, M. Dallière.

"Le château de Beauvais, de style Louis XI, bâti au bord du Cher, côté sud, est admirablement situé; se tournant vers le nord, l'oeil est ravi en apercevant, dans le lointain, la commune de Saint-Martin-le-Beau, Montlouis, le château de la Bourdaisière, à mi-flanc sur la colline du Cher. L'entrée principale, sur la route de Tours à Bléré, est une large avenue de tilleuls, avec plates-bandes de pivoines herbacées, flanquées de haies, de charmilles taillées."

L'avenue de tilleuls du château de Beauvais
L'avenue de tilleuls du château de Beauvais (Delcampe©)

La commune de Chenonceaux, toute proche, avait alors acquis une réputation internationale pour ses pivoines ! Eh oui ! Si vous ne connaissez pas cette fabuleuse histoire de patrimoine végétal ornemental, en lien avec le célèbre professeur de médecine Pierre Fidèle Bretonneau (dont l'hôpital de Tours porte le nom); histoire exhumée grâce au talent de Gilbert Flabeau (ancien directeur du jardin botanique de Tours et administrateur de la Société d'Horticulture de Touraine), je vous invite à vous rendre au parc municipal des pivoines de Chenonceaux, où une partie de la collection a été reconstituée, et à consulter les panneaux d'informations sur ce lien, dont voici un extrait : "Après la mort de son grand-père, Etienne Méchin, en 1895, Auguste Dessert (1859-1929) donne aux pivoines de Chenonceaux une renommée internationale. Maire du village pendant la Grande Guerre, il est marqué par le conflit, en témoignent les noms donnés aux pivoines créées par la suite : Victoire de la Marne (1915), la Madelon (1922), Aviateur Raymond (1915), Clémenceau (1920)… Auguste Dessert édite des catalogues bilingues et sa réputation est internationale. Dans son catalogue de 1913, on peut voir un spectaculaire champ de 25 000 pivoines de deux ans. Des colis entiers de fleurs partent alors en train depuis la gare de Chenonceaux vers toute l'Europe et l'Amérique pour embellir jardins botaniques, royaux et parcs privés." Qui l'eût cru ? Mais revenons à la visite du 30 juillet 1899...

"La façade du château, la cour d'honneur, parterre à la française, pelouses, grand bassin octogone, au centre vasque, jets d'eau : c'est la note gaie; une longue plate-bande circulaire entoure les gazons; au centre de ces plates-bandes, nous trouvons des rosiers tiges isolés et, par groupes, des plantes fleuries assorties en Géraniums, Coleus verschaffeltii (aujourd'hui Plectranthus scutellarioides), Mesembryanthemum et Pyrethrum; aux quatre encoignures de la partie française, quatre magnifiques vases garnis de Géraniums lierre, Pétunias et autres fleurs diverses".

"La cour d'honneur, située entre le château et le parterre (côté sud), est garnie tout autour d'une ligne de caisses d'Orangers, Citronniers, Pittosporums, Grenadiers, Néfliers du Japon, etc., le côté est et nord sont également garnis de caisses de ces mêmes essences de plantes; à gauche de la partie française, de forts épicéas dissimulant les servitudes; à leur base, une large plate-bande composée de Cannas, Géraniums variés et Cinéraires maritimes.

À droite, en face, une seconde pelouse sur laquelle se trouvent trois jolis massifs en mosaïculture très réussie, le principal composé comme suit : un Musa ensete (aujourd'hui Ensete ventricosum, bananier d'Abyssinie) au centre, entouré de Cannas rouges oranges, Coleus verschaffeltii (aujourd'hui Plectranthus scutellarioides), Coleus 'Madame Bochet', à la base du massif des guirlandes d'Echeverias remplies d'Alternanthera amoena (aujourd'hui Alternanthera bettzickiana) avec point de centre en Lobelia, le dernier rang rejoignant le gazon en Alternanthera (bettzickiana) aurea".

Massifs et mosaïculture, château de Beauvais
Massifs et mosaïculture, château de Beauvais (Delcampe©)

"Les deux autres massifs, en forme de trèfle, sont en Cannas au centre, Begonia semperflorens 'Alba' et Achyranthes lindenii en bordure. À droite, en face le château (côté est), un vaste quinconce de tilleuls avec allées à la française, sous-bois, fait de ce coin une jolie promenade ombrée; entre le château et les quinconces, une longue plate-bande comprenant des rosiers tiges isolés, rosiers thés franc de pied, Dahlias au centre, Géraniums, Bégonias 'Vernon' et Centaulines en bordure.

Tout près de là, et jeté sur une pelouse, un énorme Polygonum sieboldii (aujourd'hui Reynoutria japonica), dont la base est garnie d'un massif d'Echeverias, qui mesurait 8 mètres de circonférence sur 40 centimètres d'élévation et formant un vase; en face, sur le grand gazon vallonné, un autre Polygonum de moindre dimension et dont la base était garnie de Coleus verschaffeltii (aujourd'hui Plectranthus scutellarioides) et de Géraniums 'Mac-Mahon'; également, sur la grande pelouse (côté nord du château), une grande corbeille ovale composée de Cannas 'Madame Crozy', en dépassant, fond Géraniums 'Théodore Villars', cordon Achyranthes wallisii, bordé d'Alternanthera (bettzickiana) aurea, dans lequel, tous les mètres, une couronne de Teleianthera et Lobelias comme point de centre.

Pendant à celui-ci, et faisant face au château, un autre massif ovale composé de Cannas 'Reine Charlotte' comme plante dépassante, avec fond de Géraniums 'Alfred Mame'.

À l'ouest, et adossé au château, un massif de Lauriers tin, devant un rang de Cannas, en bordure Héliotropes et Géraniums, en face une plate-bande de Rosiers Bengale Hermosa, avec deux très forts Cassia floribunda aux extrémités.

En se rapprochant du Cher, nous trouvons une grande pièce d'eau avec île au centre; non loin de là, une magnifique ruine représentant un vieux moulin à eau avec ses tours démantelées, ses murs lézardés, ses portiques suspendus, salpêtrés, semble plutôt rongé par le temps que fait par la main de l'homme; tout autour, de grands massifs d'arbres forestiers et d'ornement : Féviers d'Amérique,  Gleditsia triacanthos, Bouleaux blancs, etc.; tout près d'une entrée sur le Cher, nous trouvons un grand massif de forme ronde composé de : un fort Musa ensete (aujourd'hui Ensete ventricosum, bananier d'Abyssinie) au centre, Cyperus papyrus, Calladium esculentum, bordés d'Ageratum et Pyrèthres".

Le parc de Beauvais

Édouard André, dans son ouvrage intitulé L'Art des jardins - Traité général de la composition des parcs et des jardins, publié en 1879, définit le parc de la façon suivante : "Le parc est une vaste étendue de terrain clos, destiné à la promenade et aux exercices du corps, hygiéniques et récréatifs. Il se divise en deux sections, le parc privé et le parc public. Les parcs privés peuvent revêtir divers caractères et se distinguent en parcs paysagers, parcs forestiers et parcs agricoles. Le parc paysager est une partie de pays où les plus beaux effets naturels ont été choisis et augmentés par la main de l'homme et où les divers genres et scènes indiqués plus haut peuvent se présenter. Son caractère principal est la grandeur. Il est l'accompagnement rationnel d'une résidence opulente, dont le château est l'objet prédominant. Ses éléments sont surtout les forêts, les prairies, les eaux, les accidents pittoresques du sol, les vues. L'utilité n'y est que secondaire, et, sans être exclue, elle joue un rôle subordonné au plaisir de la vue et à l'agrément de la promenade." Mais revenons au parc du château de Beauvais...

"Pendant que nous sommes au nord de la propriété, parlons un peu de son parc proprement dit, de ses vastes pelouses, prairies sur lesquelles sont jetées çà et là, soit en groupes, soit en isolés, de très beaux spécimens de conifères ou d'arbres d'ornement tels que Abies lasiocarpa, Abies douglasii (aujourd'hui Pseudotsuga menziesii var. menziesii), Abies grandis de Vancouver, Juniperus drupacea atteignant six mètres d'élévation, Abies cephalonica, Epicea, Mélèzes, Thuja gigantea (aujourd'hui Thuja plicata), Thujopsis borealis (aujourd'hui Cupressus nootkatensis), Abies orientalis (aujourd'hui Picea orientalis), Cupressus lawsoniana (aujourd'hui Chamaecyparis lawsoniana), Abies nordmanniana, Wellingtonia gigantea (aujourd'hui Sequoiadendron giganteum), etc.

En arbres d'ornement, nous trouvons des Tulipiers de Virginie, Tilleuls, Acacias, Marronniers, Érables negundo et pourpres, Virgilia lutea (aujourd'hui Cladrastis kentukea), Hêtres pourpres, Saules argentés, Peupliers d'Italie. Notons en passant un beau massif à grand effet, au milieu de la grande pelouse, entre le Cher et le château, et composé de Prunus pissardii, Érables negundo variegata et Noisetiers pourpres.

En revenant au point culminant, près de l'habitation, nous nous arrêtons à contempler l'ensemble de la propriété : quel beau point de vue l'on a sur les coteaux du Cher ! Et chacun de s'accorder à dire que l'architecte paysagiste qui avait fait la plantation de Beauvais avait bien su conserver les perspectives".

Les serres et le potager

"Près des servitudes, nous trouvons le logement du jardinier, une très longue orangerie, deux serres adossées, dont une serre chaude servant à conserver les plantes à feuillages pour la décoration des appartements, la multiplication, etc.; une autre serre froide servant à conserver les plantes utiles à l'ornementation estivale des jardins de la propriété; avec ce peu de matériel et quelques châssis, le jardinier trouve moyen de produire chaque année 15 000 plantes nécessaires à la plantation de ses massifs.

Revenant vers l'entrée principale, nous trouvons un beau potager clos de murs et d'une contenance d'à peu près un hectare, bien planté en légumes de saison, tels que Tomates, Haricots, Salades, Melons, Carottes et Artichauts; les plates-bandes, comme dans la plupart des potagers, sont plantées en plantes annuelles pour la fleur coupée.

Les murs sont garnis d'arbres fruitiers bien dirigés; dans les différentes essences et formes, nous remarquons des Poiriers en losange, Pêchers en oblique, des Chasselas de Thomery, etc.

À l'entrée du potager, près la porterie, une forte Éolienne avec deux vastes réservoirs servant à l'alimentation et à l'arrosage de la propriété; tout près du potager (côté ouest), un long mur de clôture bien garni d'espaliers; tout près de l'allée de service, quantité d'arbres fruitiers en plein vent formant verger.

Somme toute, Messieurs, vos Commissions ont trouvé la propriété de Beauvais, en général, dans un bon état d'entretien, considérant surtout la saison aride que nous avons eue cet été et le peu de personnel attribué à l'exploitation et à l'entretien de la partie ornementale de la propriété, étant donné aussi que le jardinier, M. Rivière, n'a qu'un seul aide pour le grand travail qu'il a à faire. Vos Commissions ont été unanimes à reconnaître qu'il y avait là un vrai tour de force, une activité et une capacité peu communes. Nous en félicitons hautement M. Rivière, et pour le récompenser de tous ses efforts bien mérités, vos Commissions réunies ont décidé de lui accorder, à titre de récompense et d'encouragement, une médaille de vermeil grand module.

En prenant congé de M. et Mme Rivière, nous les remercions de l'accueil cordial qu'ils nous ont fait. Sur cette entrefaite, M. Béranger nous fait demander au château, où une aimable réception nous attendait; au cours de notre bref entretien, la conversation roula naturellement sur la culture, viticulture, botanique, etc. Sur ce point, qu'on nous permette de dire en passant que M. Béranger possède des connaissances toutes spéciales. Notre visite terminée, nous remercions bien sincèrement M. Béranger pour la bienveillante réception qu'il a faite à votre Commission. Il est deux heures. Nous reprenons la route de Tours par 35 degrés de chaleur. Votre rapporteur, L. Dallière."


Je vous propose, ci-après, quelques gravures et photographies d'espèces botaniques et variétés horticoles présentes (ou susceptibles de l'avoir été car ces plantes étaient vendues dans le commerce à cette époque) dans le parc du château de Beauvais en 1899.

Les Grenadiers (Punica granatum L.)

La gravure ci-dessus, extraite de la Revue Horticole de 1880, avec des illustrations de G. Severeyns et Godard, représente trois variétés de grenadiers, qui ornaient nos jardins dès la fin du XIXe siècle. Voici un extrait du texte qui accompagnait cette belle image, signé Élie-Abel Carrière : "Deux raisons nous engagent à appeler l'attention sur la planche coloriée ci-contre : la beauté exceptionnelle des plantes qu'elle comprend et la manière dont celles-ci ont été obtenues. Sous le premier rapport, en effet, il serait difficile de voir quelque chose de mieux, tant pour la pureté et l'éclat des couleurs que pour la grosseur et la forme des fleurs. Quant à leur obtention, le fait est des plus curieux; en même temps qu'il enrichit l'horticulture de deux très jolies variétés, il sert aussi la science en démontrant une fois de plus comment se forment les caractères qui tous, et quels qu'ils soient, sont dus à des combinaisons moléculaires résultant de la végétation. Notons, en effet, qu'il ne s'agit ici ni de fécondations ni d'hybridations, et que les deux variétés dont il s'agit, qui sont des plus différentes, puisque l'une est d'un blanc pur et l'autre d'un rouge intense, proviennent par dimorphisme du grenadier 'Legrellei', qui est rouge saumonné, bordé, strié blanc. Notre planche coloriée représente donc la mère (qui est au milieu) et ses deux enfants, l'un au-dessous, l'autre au-dessus d'elle. Les trois plantes sont très vigoureuses et rustiques et, sous ce rapport, les deux enfants tiennent absolument de leur mère dont ils ont aussi l'aspect. À ce point de vue, ces plantes sont bien préférables aux anciennes variétés de Grenadier blanc et rouge qui, beaucoup moins vigoureuse, sont aussi plus sensibles aux froids.

Ces deux variétés se sont montrées chez M. Gégu, horticulteur, Bas-Chemin-du-Mail, à Angers (Maine-et-Loire). Toutes deux, avons-nous dit, sont issues directement du Grenadier 'Legrellei'. Le blanc s'est développé en 1874 sur une seule branche partant du tronc de la mère et qui, détachée et bouturée, a donné des plantes à fleurs blanches, lesquelles jamais n'en ont produit d'autres. Les fleurs se montrèrent d'abord sur le bois de deux ans; mais à l'automne, il en apparut à l'extrémité des pousses de l'année. Quant à la variété à fleurs rouges, elle s'est montrée en 1875 sur des boutures provenant d'une branche qui avait été coupée sur ce même pied, pour multiplier et croyant avoir affaire au Grenadier 'Legrellei', de sorte que l'un et l'autre (le blanc et le rouge) se produisaient simultanément sur deux branches du même arbre."


Cannas nouveaux, 1885, Revue Horticole©

Les Cannas (également appelés balisiers, originaires d'Amérique tropicale)

Cette gravure, extraite de la Revue Horticole de 1885 et signée G. Severeyns, présente les nouvelles variétés obtenues en 1885 par M. Crozy aîné, célèbre horticulteur lyonnais passionné de Cannas. Parmi elles, Canna grandiflora picta (1) d'un beau jaune citron clair couvert de "larmes" rose tendre; 'Commandant Rivière' (2) d'un beau rouge aurore striulé, ponctué ou sablé de jaune d'or; 'Claude Bernard' (3) d'une belle couleur rouge brique éclatant à la base, nuancé d'or au centre et passant à une large zone marginale jaune d'or brillant; 'Madame Bernard' (4) jaune d'or irrégulièrement flammé et rayé de rouge brique brillant; Rosaeflora (5) d'un beau rouge magenta; 'Émile Guichard' (6) d'un beau rouge vermillon foncé parfois pailleté de quelques touches dorées ou d'un autre ton; 'Madame Alégatière' (7) d'un admirable rouge orangé brillant; 'Émile Leclerc' (8) d'un magnifique rouge cramoisi bordé et strié de jaune d'or. Bien qu'ils aient été connus depuis longtemps, les Cannas n'étaient guère cultivés que dans les écoles de botanique, jusqu'à la moitié du XIXe siècle, probablement parce que, d'origine exotique, on ne les croyait pas capables d'être cultivés en pleine terre. Les choses en étaient là, lorsqu'en 1846, M. Année, attaché à la légation de France à Valparaiso (Chili), en rentrant en France prendre sa retraite, en apporta un bon nombre. Après avoir habité pendant quelques années à Passy, où il obtint de nombreux et beaux Cannas de semis, il alla se fixer à Nice, où il en cultiva une partie en serre et une partie en pleine terre, et il acquit bientôt la preuve que les Cannas supportaient aussi bien notre climat que les Dahlias et autres plantes tuberculeuses. Il s'occupa alors de leur propagation par le semis, après avoir fécondé artificiellement les fleurs, et en obtint de très belles variétés qu'il distribua autour de lui. Cependant, ce ne fut qu'en 1855 que, grâce à Barillet-Deschamps, cette plante figura dans les jardins publics de Paris et qu'elle se répandit dans les jardins particuliers. Quelques années plus tard, Crozy père, horticulteur à Lyon, s'adonna aussi à la culture et à la fécondation artificielle des Cannas. Depuis lors, les Cannas se sont tellement répandus que l'on en trouve dans presque tous les jardins. Extrait de la Revue Horticole, 1886.


Le Musa ensete

Aujourd'hui Ensete ventricosum, appelé communément Bananier d'Abyssinie avec, ci-dessus, une photo que j'ai prise au Jardin des Plantes de Paris l'automne dernier. Dans la Revue Horticole de 1864, le comte Léonce de Lambertye le décrivait en ces termes : "Qui n'a visité et admiré le parc Monceau, cette belle création de M. Barillet-Deschamps, ce jardin le mieux tenu et le mieux orné de France. Eh bien ! c'est dans ce jardin modèle, intéressant et constant sujet d'études offert aux amateurs éclairés, que le premier Musa ensete fit son apparition au mois de juin 1863. Isolé sur l'une des pelouses, il attirait les regards par la majesté de ses formes. Cette année on le retrouvait encore. L'une des grandes serres du Jardin des Plantes renfermait ce printemps un Musa ensete en fleur; et l'on peut en voir maintenant dans la grande serre chaude de l'établissement de la ville de Paris, à Passy, un spécimen dans toute la splendeur de sa végétation. Le Musa ensete me paraît être la plus remarquable des espèces exotiques dont on sait de nos jours obtenir en pleine terre de si puissants effets. J'en recommande particulièrement la culture à tous les propriétaires de parcs et de grands jardins."


Coleus verschaffeltii

Aujourd'hui Plectranthus scutellarioides, Plectranthe fausse-scutellaire, est une espèce de plantes de la famille des Lamiacées. C'est une plante ornementale originaire de Java. Les horticulteurs ont créé au cours du temps de très nombreuses variétés, hybrides et cultivars, si bien que la classification de ces Coleus a été fréquemment révisée et fait encore parfois débat. (Photographie ci-dessus extraite de Wikipedia©).


Coleus 'Le Progrès'

Gravure extraite de la Revue d'horticulture belge et étrangère, de 1882, signée Pierre de Pannemaeker (1832-1904). Le texte qui accompagne cette magnifique illustration nous dit : "Nous ne croyons pas que, parmi les nombreux Coleus qui ont été mis au commerce ces dernières années, aucun n'atteigne les qualités et la beauté de cette charmante variété. Sa luxuriante végétation, son habitus élégant, son coloris dominant : rose chair, flagellé et maculé de rouge, de vert et de brun, la beauté de ses feuilles, au pourtour crénelé denté, toutes ces qualités réunies dont la description ne peut donner une idée complète, en font une nouveauté incontestablement supérieure. Elle a déjà été fort appréciée par le public horticole, et elle a été admirée à l'Exposition tenue à Gand le 2 juillet dernier, où d'ailleurs elle a remporté un 1er prix dans le lot de plantes nouvelles. Signé Aug. Van Geert".


Pelargonium peltatum Jan Moninckx 1701
Pelargonium peltatum, Jan Moninckx, 1701, Wikipedia©

Pelargonium à feuilles de Lierre

Un article signé Henri Theulier fils, dans la Revue Horticole de 1895, nous renseigne sur le Pélargonium à feuilles de Lierre (Pelargonium peltatum (L.) L'Hér.) : "Il est sans contredit une des plantes les plus belles et les plus précieuses que nous ayons pour l'ornementation des jardins. Il le doit à la variété infinie et l'éclat des coloris, à la beauté, à l'abondance des fleurs en même temps qu'à sa rusticité. Les variétés obtenues ces dernières années sont d'un type vigoureux, à rameaux fermes et à beau feuillage. Elles sont tellement florifères que les plantes mises en pleine terre, comme les Pelargonium zonale, donnent bientôt une abondante floraison qui ne s'arrêtera qu'aux gelées, et forment de magnifiques massifs qu'on ne saurait comparer qu'à des tapis de "Lierre fleuri", ou, pour mieux dire, à de superbes bouquets de fleurs. Abandonnés à eux-mêmes, les Pélargoniums à feuilles de Lierre, à fleurs doubles, forment des touffes buissonnantes et très ramifiées, dont les rameaux s'étalent sur le sol, se redressent ensuite, et se couvrent de fleurs aux couleurs gaies, qui tranchent très bien sur le fond vert du feuillage. Cultivés ainsi, ils sont très propres à former soit des groupes isolés, soit des bordures dans les grands jardins, ou bien de superbes corbeilles qui seront d'autant plus belles que les couleurs auront été bien mélangées et assorties avec goût."


Lobelia x rivoirei

Gravure extraite de la Revue horticole, de 1899, soit la même année que la description des jardins de Beauvais; illustration de G. Severeyns et L. Descamp-Sabouret. Issue des semis de MM. Rivoire & fils, horticulteurs à Lyon, elle a été mise au commerce en France en 1897. La forme et la nuance charmante de ses fleurs, sa floraison prolongée jusqu'à la fin de l'automne constituent une précieuse acquisition pour les jardins et notamment les corbeilles.


Le Cassia x floribunda (aujourd'hui Senna ×floribunda)

Gravure extraite de la Revue horticole de 1867, illustration de F. Yerna, qui nous donne les informations suivantes sur cette plante : "Bien que cette espèce soit vigoureuse et robuste, il va de soi que la végétation et, par conséquent, la floraison seront d'autant plus belles qu'on aura placé les plantes dans de meilleures conditions. Un sol léger, additionné de terre de bruyère et de terreau de feuilles, convient parfaitement. On la multiplie de boutures que l'on fait pendant l'hiver, en prenant des bourgeons qu'on a soin de faire développer dans une serre chaude, et l'on plante ces boutures en terre de bruyère, dans des petits pots qu'on place sous cloche dans la serre à multiplication; elles s'enracinent assez promptement. Signé E. A. Carrière."


Le Gleditsia triacanthos

Communément appelé Févier d'Amérique, originaire des États-Unis, dont voici la description dans le Traité des arbres et arbrisseaux de Pierre Mouillefert, datant de 1892-1898 : "Févier à trois épines, arbre de 25 à 30 mètres, à tronc restant lisse, grisâtre pendant longtemps, puis se gerçurant largement et platement; cime ample, obovale à branches érigées; rameaux brun roux ou grisâtre, ponctués; épines brun rouge ou pourpres, surtout abondantes chez les jeunes individus; feuilles fasciculées sur un axe court, les premières apparues longues de 10-12 cm, simplement pennées, 10-14 paires de folioles; celles de la fin du printemps et les suivantes, doublement composées et longues de 20-30 cm; fleurs naissant sur les rameaux de l'année précédente, pédicellées, en grappes spiciformes, les mâles denses, les femelles lâches; gousse rougeâtre, aplatie, peu pulpeuse, plus ou moins contournée en corne de bélier; floraison en juin. Introduit en Europe vers 1700, il s'est assez rapidement propagé et s'est toujours montré très rustique. Il n'est pas difficile sur la nature minéralogique du terrain, il lui faut seulement un sol d'une certaine fraîcheur, sur ceux trop secs ou trop maigres, il languit et meurt de bonne heure."


Le Cyperus papyrus

De son nom commun papyrus ou souchet à papier, il était décrit, dans la Revue Horticole de 1895 de cette façon : "Le Cyperus Papyrus, pendant la belle saison, est une plante très précieuse pour l'ornementation des jardins; il peut être planté au bord de l'eau, isolé sur pelouse ou encore groupé en massif. Quant aux soins généraux à lui donner l'été, une terre à la fois substantielle et légère lui suffit. Il demande, durant sa grande végétation (excepté au bord des eaux), de copieux arrosages à l'eau naturelle et, s'il est possible, quelques distributions d'engrais liquides agissant sur les parties foliacées. La plante, en s'élevant davantage, n'en prend que plus d'élégance. Signé H. Laridan fils."


Le Liriodendron tulipifera

De son nom commun Tulipier de Virginie (ci-dessus, fleur du Tulipier, Wikipédia©) : Pierre Mouillefert, dans son Traité des arbres et arbrisseaux de 1892-1898, le décrit de la façon suivante : "Le Tulipier est un grand arbre pouvant atteindre, suivant Sargent, de 30 à 60 mètres de haut sur 6 à 12 mètres de circonférence. On le trouve dans tout l'ouest des États-Unis, depuis le 43°30', dans les états de Vermont et de Michigan, jusque sous le 30°, dans le nord de la Floride; il atteint son plus grand développement dans la vallée de la rivière Wabach, sur les pentes est des monts Alleghany, dans le Tenessee et le nord de la Caroline; il vient tout particulièrement dans les vallées fraîches et fertiles. C'est l'un des plus grands arbres et des plus précieux des forêts des États-Unis. Tronc droit, cylindrique; écorce d'un gris foncé chez les jeunes arbres et se gerçurant longitudinalement chez les individus âgés. Cime ample, ovale; rameaux brun rouge, glabres, même un peu vernissés. Bourgeons pointus, brun vert, aplatis. Feuilles grandes, 10 à 15 cm de long sur 12 à 15 de large, arrondies à la base, échancrées tronquées au sommet, deux paires de grands lobes de chaque côté, très acuminés, surtout ceux du sommet; vertes, luisantes, comme vernissées en dessus, glauques en dessous, légèrement pubescentes sur les nervures. Fleurs grandes, 8-10 cm de diamètre, légèrement odorantes, paraissant après le complet développement des feuilles au sommet des pousses subcampaniformes, ressemblant assez bien par leur forme à celle d'une tulipe. Pétales 6, jaune verdâtre avec tache rouge brique au milieu de la face extérieure. Cône ou syncarpe, ressemblant assez bien par son ensemble à un manche de pelle en miniature; floraison en juin juillet. Dissémination des fruits par suite de désagrégation du cône vers la fin de l'été. Le Tulipier ne se plaît bien que dans les terrains fertiles, frais et meubles, ce que rappelle son nom vulgaire américain de Poplar (peuplier); les terrains granitiques ou siliceux lui conviennent tout particulièrement; sur les sols calcaires secs, il dépérit de bonne heure. Cet arbre, introduit en Europe au commencement du siècle dernier (XVIIIe), a fleuri pour la première fois dans les jardins du comte de Péterborough à Parsonsgreen près de Fulham (Angleterre). Sa croissance est rapide et sa rusticité à toute épreuve; il a parfaitement résisté en France au grand hiver de 1879, c'est à dire à -30°C. Le Tulipier est un magnifique arbre pour l'ornementation des grandes pelouses et des parcs; il se fait remarquer, non seulement par la beauté de ses fleurs, mais aussi par celle de son feuillage, qui est de plus respecté des insectes, ainsi que par la majesté de son port. C'est aussi un excellent arbre d'avenue. Enfin, il est assez méritant pour entrer dans certains cas dans la composition de nos forêts car son bois possède des qualités précieuses. Le Tulipier pourrait être particulièrement employé pour boiser les vallées étroites des pays de montagnes granitiques, les sols frais des bords des fleuves ou de leurs atterrissements, partout en un mot, où viennent les grands Saules, les Peupliers et les Aunes; il faut toutefois éviter les terrains trop humides qui ne lui conviennent pas."


L'Abies douglasii (Syn. Pseudotsuga menziesii var. menziesii)

Cette gravure est extraite de L'Illustration Horticole de 1887, et voici la description qui en est faite : "Peu d'arbres, parmi les Conifères, dont un grand nombre cependant peuvent décorer nos jardins, ont un cachet ornemental aussi puissant que cet arbre, qui joint à sa vigueur et à sa rapide croissance la précieuse qualité d'être parfaitement rustique sous nos climats, où il a résisté aux rigoureux hivers de 1879-80 et 1880-81. Il n'a souffert alors que dans les terrains trop bas et trop sablonneux. Dans les vallées des Montagnes Rocheuses, sur les confins de la Californie, le long des fleuves, il existe de vastes forêts de cette majestueuse espèce couvrant des milliers d'hectares".

À suivre...